Le perliculteur connaît la valeur de sa perle pour laquelle il a tant travaillé. Le négociant qui prend le relais du producteur valorisera cette perle à travers le monde. Loïc Wiart, premier négociant en perles de Polynésie, explique avec beaucoup de clarté son rôle entre perliculteurs et acheteurs, l’effet de la covid sur le secteur perlier, les critères de beauté d’un tel produit de luxe selon les pays….
Texte et photos - Text and photos: : © Doris Ramseyer

Devenir négociant
Comment débute l’histoire d’un négociant, comment devient-on expert dans le domaine de la perle ? Loïc Wiart arrive dans ce milieu un peu par hasard, grâce à un job d’été dans le GIE TPP (Groupement d’intérêt économique Tahiti Pearl Producers, créé en novembre 1995). C’était en 1998. Depuis, Loïc n’a plus quitté l’univers de la perle. Aujourd’hui, il est le propriétaire de Poe Black Pearl, qu’il a fondé il y a 22 ans.
Le tri des perles, une phase capitale
Dans l’atelier attenant à son bureau, ses collaborateurs nettoient, trient, rangent, empaquettent des milliers de billes nacrées, dont le ruissellement évoque une tonalité cristalline. Ce scrupuleux travail de tri fait la force de Poe Black Pearl. Nous proposons quinze formes, cinq qualités et vingt couleurs différentes, explique Loïc, c’est la première grosse valeur ajoutée de l’entreprise. Ainsi triées, les perles peuvent rapidement et précisément répondre à la demande des acheteurs. La seule condition est d’en avoir toujours suffisamment en stock. D’où une collaboration régulière avec les mêmes perliculteurs, à qui il achète toutes les récoltes. Ces achats de base sont complétés sporadiquement auprès d’autres producteurs, en fonction des besoins du marché.
Les perliculteurs représentent la base du secteur, son fondement, son noyau. Le métier dur et âpre de ces travailleurs de la mer les soumet de plein fouet aux variations climatiques, comme à celles du marché. Une activité si prenante qu’elle ne leur permet pas d’être à la fois présent dans les fermes perlières et sur les marchés internationaux. C’est ici que s’esquisse le rôle du négociant, pour valoriser la perle grâce aux démarches et aux rencontres avec les clients, répondant à des appels d’offres internationaux, parcourant les salons aux quatre coins du monde : Nous sommes les commerciaux des perliculteurs, résume Loïc, c’est vraiment un travail main dans la mainavec le producteur. Il rajoute : si par le passé, il a pu y avoir des oppositions entre perliculteurs et négociants, on peut réellement collaborer dans une bonne entente, comme aujourd’hui.

Ces perles de tailles remarquables ont été scrupuleusement appairées afin de réaliser un collier de valeur.
Effet covid : positif ou négatif pour la perle ?
Ces deux métiers, perliculteur et négociant, sont soumis aux mêmes variations du marché. S’il y a surproduction de la perle, comme cela a souvent été le cas, le produit est dévalorisé, avec des répercussions pour les deux parties, mais ressenties de manière plus aigüe pour le perliculteur. La covid a paradoxalement créé un rebond positif dans ce secteur.
Dans les îles de Polynésie, aux Tuamotu comme aux Gambier, travaillaient bon nombre de greffeurs chinois. La covid a provoqué leur exode en masse, à part certains qui sont restés. Des greffeurs locaux ont été formés pour pallier ce manque. Même s’ils n’ont pas eu le temps d’atteindre le niveau d’expertise des greffeurs chinois, la production des perles a repris, mais en moindre quantité. Avec comme heureux résultat, une hausse des prix.
Actuellement, la situation est stable. Si les greffeurs chinois reviennent, la production va doubler en peu de temps, et les prix vont à nouveau s’effondrer, expose Loïc. Les perliculteurs se montrent partagés, car d’un côté, ils apprécient le travail et l’assiduité des greffeurs venus d’Asie. De l’autre côté, même s’ils ne vendent plus autant de perles, les prix ont néanmoins augmenté…
Cette situation a propulsé le producteur au centre du business. Le perliculteur revient en force, et c’est une très bonne chose. Car c’est lui qui prend le plus de risques, affirme Loïc. Pour que ça tienne, la production doit rester telle quelle, ou augmenter à peine. La situation est nettement meilleure qu’il y a deux ou trois ans, et le prix de la perle augmente régulièrement. Il n’existe pas d’idéal de production à proprement parler, car elle est par définition variable. Mais elle est idéale quand le producteur peut avoir une marge.

Valorisation de toutes les perles
Tout ce qui est acheté par le négociant est revendu. Il épouse la perle avec tous ses défauts et ce qu’elle possède de plus beau. On pourrait parler de déontologie du métier : c’est notre travail de valoriser les perles, quelle que soit leur qualité ! assure Loïc.
Puisque la gamme des perles est si variée, celle des acheteurs l’est tout autant. Les bijoutiers de la place Vendôme à Paris demandent des perles aux critères exceptionnels, qui exigent parfois plusieurs années de recherche. D’autres bijouteries internationales souhaitent des perles de haute et moyenne gamme. Grâce à ce large éventail en choix de perles, la marge de vente augmente.
En Polynésie, il y a beaucoup d’achat et de revente de matière brute. Loïc souhaite transformer davantage le produit en formant des gens dans la joaillerie. Une perle convertie en bijou est mieux valorisée et le rôle du négociant devient plus abouti. Chez Poe Black Pearl, une partie des concrétions nacrées sont vendues à l’état brut, les autres en produits finis ou semi-finis. C’est la deuxième valeur ajoutée de l’entreprise. Pour façonner d’élégants colliers, le travail d’appairage s’avère particulièrement fin, afin d’obtenir une harmonie parfaite entre les diverses nuances. Les perles de qualité moyenne sont, quant à elles, davantage travaillées, pour former un collier à un tarif plus abordable.
Le coût de la main-d’œuvre reste élevé à Tahiti, en comparaison notamment à celui de l’Asie. Si les artisans polynésiens créent un bijou haut de gamme, le travail est absorbé dans le coût final. Ce n’est pas le cas pour des bijoux de moindre valeur. Chez Poe Black Pearl, on favorise la qualité de travail à la vitesse d’exécution. On prend le temps, mais au final le client est satisfait, il est sensible à cette qualité de l’ouvrage et va simplement adapter ses délais, expose Loïc.
Le marché international
La perle de Tahiti reste une vraie valeur. Nous vendons beaucoup de perles au Japon, qui demeure le pays de référence pour ce produit ; il distribue nos perles à travers le monde après transformation. Il n’y a rien de constant avec le pays du Soleil-Levant, car dès que le prix de la perle tahitienne augmente, il n’hésite pas à se tourner vers d’autres nations productrices. Nous travaillons également avec l’Europe, l’Amérique du Nord, et l’Asie. Très peu avec l’Afrique et encore moins souvent avec l’Amérique du Sud, confie Loïc. Hong Kong reste la plaque tournante du marché de la perle, qui présente des avantages pour les négociants : c’est un port franc, il n’y a aucune déclaration à faire ni de taxes à payer pour entrer dans le pays avec des perles.
Une fois vendues, transformées et valorisées, les perles de Polynésie ont une vraie visibilité à travers le monde. Nos acheteurs font la promotion de leurs propres bijoux, confectionnés avec les perles de Tahiti, sur leur site ou les réseaux sociaux. Les trésors des lagons de Polynésie sont toujours à la mode. Peu présentes sur les podiums de mode, en revanche, elles sont toujours portées par des personnalités politiques ou publiques, et visibles sur les médias. Les perles blanches restent une référence, mais il y a toujours une vraie demande pour les perles de Tahiti.
Définition d’une belle perle
Une belle perle, ça dépend des cultures et des personnes, selon Loïc. En Asie, c’est la forme qui importe, les perles rondes sont synonymes de perfection. Les pays asiatiques demandent certaines couleurs et en refusent d’autres. Le Japon est friand des nuances peacock. L’Amérique du Nord apprécie les perles colorées. En Europe, ce sont les nuances grises ou plus claires qui sont estimées.
Et pour Loïc, qui, au courant de sa vie, a observé, manipulé, brassé, des milliards de perles ? Je suis sensible à la couleur et au lustre d’une perle, peu importe sa forme ou sa taille. Ce sont souvent les petites sphères qui sont revêtues du plus bel éclat nacré. Une belle perle, c’est quand on LA voit parmi un lot de 10 000 autres perles ; elle est là, on l’a déjà repérée. On remélange ces milliers de perles, et, à nouveau, elle surgit, brillante, différente, unique. C’est une perle de collection.
La lumière naturelle, filtrée par un simple voilage blanc, se dépose sur les perles aux reflets irisés. J’aime presque toutes les couleurs ! Le bleu, le pistache, le pastel, le cooper, les drops avec leur fabuleux dégradé arc-en-ciel. Le regard de Loïc est captivé, émerveillé. C’est ce regard expert et passionné à la fois qui retourne à Hong Kong.
J’aime vendre la perle. C’est une passion. Ce n’est pas seulement monétaire ! J’apprécie le partage avec un autre passionné, échanger des argumentaires fins, jusqu’à parvenir à une entente. Un travail qui complète et achève parfaitement celui du producteur.
Durant la crise sanitaire, le marché de la perle est tombé en berne, notamment avec les confinements en Chine. La covid a marqué une révolution dans ce secteur. On a vendu des perles sans que les clients les voient ! Par vidéo, photos, WhatsApp… Alors que des perles, c’est spécialement tactile et visuel. Nous avons dû revoir notre manière de travailler. C’était intéressant, et ça a fonctionné.
En 2023, après trois ans d’arrêt, la Chine rouvre. C’est une nouvelle page qui s’ouvre.
« Une perle oubliée sur la plage, même si elle n’est pas remarquée, ramassée ou bien reconnue, ne perd jamais sa valeur. » Augusto Branco, poète brésilien.
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