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Négociants en perles de culture

Un métier à part

© Texte et photos : Doris Ramseyer


Ils sont le lien entre perliculteurs et grossistes. Ils vivent au gré des vagues du marché de la perle. Ils rencontrent les producteurs dans les îles de Polynésie et exportent dans le monde entier l’or nacré de Tahiti. Entre commerce et passion, qui est négociant ? Quel est son rôle dans cette filière complexe ? Poe Rava est allé à la découverte d’un aspect peu connu du marché de la perle, avec les négociants Frédéric Mollard et Ruben Hirshon.



Devenir négociant en perles de culture

La jeune femme fait rouler les billes moirées sous ses doigts, le teint sombre des perles tranche avec la blancheur de la table où tombe une lumière naturelle, tamisée. Le choix de la cliente est ardu, les perles se révèlent plus belles les unes que les autres.

Nous sommes au bureau de négoce créé par Frédéric Mollard et Ruben Hirshon. Un lieu hautement sécurisé où transitent les trésors du lagon. En plein centre-ville de Papeete, des milliers de perles de Tahiti issues de leurs atolls du bout du monde, brillent et patientent. Certaines sont montées en bijou, la plupart attendent leur départ vers une terre étrangère, où la perle sera valorisée et coiffée du rôle d’ambassadrice de Polynésie.


Cette entreprise est l’histoire de deux amis qui se retrouvent pour associer leur passion commune de la perle. Frédéric Mollard entre dans l’univers nacré en 1997, et trois ans plus tard, devient négociant à son compte.


Il continue à travailler au niveau local, et à créer des contacts dans les îles de Polynésie.

Ruben Hirshon aborde le monde de la perle la même année que son ami, mais pas au même endroit. Ce dernier s’investit localement, mais parfait son expérience à l’étranger, notamment pendant deux ans au Japon. En 2007, Frédéric et Ruben rassemblent la richesse de leurs parcours respectifs et deviennent associés. Un lien de confiance qui a débuté bien avant la perle les réunit dans une belle harmonie, afin de vivre plus sereinement un métier qui n’a rien d’un long fleuve tranquille.


Un métier passion

Ruben et Frédéric associent le goût du voyage, du contact humain, d’un sens aigu de l’adaptation et du commerce pour valoriser la perle de Tahiti. Amaru Taumana rejoint le duo il y a cinq ans et se spécialise dans le tri des perles et la comptabilité.


« C’est un métier extraordinaire, car le produit est beau et noble ! », s’extasie Ruben.


« Il s’agit d’un commerce, avec une réalité financière. Mais c’est un produit vivant, organique, magique. On a beaucoup de chance ! » Il rajoute : « La plupart des gens, acheteurs ou fournisseurs, on a tous une passion pour la perle. »

Frédéric revient sur ses débuts : « J’ai choisi de suivre le sens du vent, j’ai travaillé avec un ami dans le domaine de la perle, puis j’y suis resté par passion, pour sa magnificence. » Il avoue : « C’est un métier difficile », et Ruben opine. Nous allons bientôt comprendre pourquoi.



Produire de belles perles

Des perles exquises, au reflet imparable, attirent le regard sur la table attenante aux vastes fenêtres qui donnent sur la ville. La lueur du jour vient les effleurer, les magnifier. Elles sont cerclées, baroques, ovales, gouttes, boutons, semi-baroques, semi-rondes, rondes : elles étonnent par leur couleur et leur taille, de 11 à 17 mm. Des chiffres qui en disent long sur leur rareté et leur valeur.


« Au premier coup d’oeil, on repère les belles perles », affirme Ruben.

Les deux associés trient des centaines de milliers de concrétions nacrées par an. Le regard s’affine au fil du temps pour sélectionner les perles rares. Une quintessence nacrée qui résulte d’un travail de longue haleine, qui part du perliculteur jusqu’au négociant.


« La perle est sans valeur dans sa propre coquille » (proverbe indien).


Un marché en crêtes et en creux

Les négociants épousent les vagues, les cycles des prix de la perle. Certains sont prévisibles, d’autres pas. Et chaque année est différente de la précédente comme de la suivante. C’est un secteur périlleux, le danger de chavirer et de couler est omniprésent. Il faut naviguer avec prudence et audace cependant. Trouver un juste milieu entre trop investir et rester frileux. Pour Frédéric et Ruben, leur choix s’est porté sur la création d’une structure moyenne.


Quand la demande augmente, l’offre baisse, alors les producteurs fabriquent plus de perles. Mais quand il y a surproduction, le prix de la perle chute. Si le pic plonge bas, la souffrance des perliculteurs est grande, pour certains, elle signe l’arrêt de leur activité. Avec moins de producteurs actifs, moins de perles sont produites : les prix s’équilibrent alors. Le gouvernement polynésien souhaite mettre des mesures en place pour stabiliser ces éprouvantes variations de la filière de la perle. Pour fortifier la deuxième industrie de Polynésie.


Autour de la perle des métiers difficiles

Au début des années 2000, la Polynésie comptait 1 300 perliculteurs, et le prix du gramme de perle à l’export dépassait 2 000 CFP. Dès 2006, ce prix s’est mis à chuter longtemps et vertigineusement, bien en dessous de 1 000 CFP, et les producteurs ne sont plus que 300. Ceux qui résistent travaillent de manière professionnelle. Puis survient la covid, où tout s’effondre.


Il faut des années de sélection et de collection, par Frédéric et Ruben, pour arriver à réaliser des colliers comme ceux-ci, portés ici en tour de cou par Tuhei Adams.




« Tout a été chamboulé », décrit Frédéric, « il n’y avait quasiment plus de perles disponibles ».

La plupart des greffeurs quittent les îles, et une période noire débute. Le négociant reconnaît : « C’est un métier très dur pour les perliculteurs. Ils dépendent des éléments naturels, des fluctuations économiques, des attaques malveillantes sous forme de vols humains ou d’agressions par les raies manta et 'ō'iri. Les dents acérées des balistes peuvent casser les nacres, les puissantes mâchoires des raies également : un dispositif d'huîtres greffées peut ainsi être détruit jusqu’à 70 % ! »


« Nous trouvons aujourd’hui beaucoup moins de belles couleurs de perles », confie Frédéric. « Avant, les lagons étaient moins surpeuplés de nacres, elles pouvaient respirer ! » Il faut éviter la surproduction comme à Takaroa, où l’eau enserrée par l’atoll est véritablement tombée malade, engendrant des perles de moins bonne qualité.


Frédéric Mollard et Ruben Hirshon, des amis de longue date devenus associés et négociants en perles.

L'après Covid

« Depuis la covid, il y a restructuration du marché de la perle, on part sur d’autres bases, il est difficile de prévoir loin », explique Frédéric. « De plus, les goûts des consommateurs évoluent, le regard sur les produits haut de gamme également, le contexte économique mondial n’aide pas, et la perle de Tahiti manque de promotion. » Or, la publicité est cruciale pour le monde du luxe : elle éveille au rêve, à la beauté et à l’émotion. Acheter une perle de qualité, c’est accéder à tout cela.


L'appairage est ce délicat travail d'expert qui permet de faire coexister des perles uniques afin de former un ensemble le plus harmonieux possible.


Aujourd’hui, le plus grand défi après la covid reste de se fournir en perles. Certains greffeurs chinois, dont la technique est réputée, sont restés dans les îles, une certaine partie de la production reste donc assurée. « Avant la covid, nous achetions annuellement des centaines de milliers de perles. Depuis la pandémie, ce chiffre a considérablement baissé », confie Ruben. Pour le futur, les négociants restent néanmoins optimistes. Ils ont confiance en la perle de Tahiti.


De gauche à droite :

L'actrice Tuhei Adams portant comme une écharpe 5 sautoirs de perles sélectionnées par Frédéric et Ruben.

Succession de perles drop, ou poires, qui donnent à ce choker exceptionnel, disponible à la bijouterie Joy, une dimension aquatique, véritable hommage au diamant des mers qu'est la perle de culture de Tahiti.




 

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Dossier à retrouver dans votre magazine POERAVA 2022



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