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Bioplates : pour une perliculture durable

Des chercheurs de l’université de Polynésie ont mis au point un collecteur de bivalves biodégradable. Il a déjà fait la preuve de ses performances et de son innocuité. Mais une seconde version du modèle reste à tester in situ.


Texte : Delphine Barrais - Photos : ©DR

Margaux Crusot a réalisé plusieurs missions dans les îles, dont Takapoto aux Tuamotu, ici en octobre 2021.


Un collecteur bivalves biodégradable va passer ses derniers tests in situ en Polynésie dans l’année. Il est le fruit de diverses collaborations (des chercheurs de l’UMR-EIO à l’Université de la Polynésie français, l’Institut de recherche et du développement) et partenariats (le pays avec la Direction des ressources marines, le centre d’excellence néo-zélandais Scion et tout récemment l’industriel Plastiserd). Il a été obtenu au bout de cinq années de recherche au cours desquelles trois projets se sont succédés : Perlibio, Proto-coll puis Bioplates.


Ces projets ont tous visé un même objectif, à savoir réduire la pollution plastique et la toxicité des collecteurs de bivalves en Polynésie. En effet, l’activité perlicole génère une grande quantité de déchets. Les chiffres ont de quoi alerter. Dans l’analyse des pratiques de la perliculture aux Gambier réalisée dans le cadre du projet Resccue (Résilience des Écosystèmes et des Sociétés face au Changement Climatique), il est précisé que les déchets sont essentiellement issus des équipements aquacoles (paniers et collecteurs en propylène, bouées, Nylon), mais aussi de la vie quotidienne (déchets organiques, restes de repas, emballages plastiques etc.). La construction de fermes d’exploitation et d’habitations sur pilotis au sein même du lagon peut aussi être source de déchets. Pour une ferme de taille moyenne (disposant de 15 stations de collectage et 15 ha de concession), le volume de déchets produits par l’activité serait ainsi estimé à 2 tonnes en moyenne par an (Source UPF, 2016). Pour le seul archipel des Gambier, 250 tonnes de déchets potentiels seraient produites chaque année.


Tony Gardon pour sa part, a démontré dans sa thèse intitulée « Impact des micro- et nano-plastiques sur l’huître perlière Pinctade margaritifera » soutenue en décembre 2020, la présence de microplastique (MP), et montré la toxicité de ce microplastique. Les résultats des campagnes d’échantillonnages réalisées in situ dans les atolls de Ahe, Manihi et Takaroa ont révélé l’omniprésence des MP dans les eaux de surface, la colonne d’eau et les tissus d’huîtres perlières en élevage. Les concentrations enregistrées dans les eaux de surface (0,2 à 8,4 MP.m-3) placent ces trois atolls à une position très défavorable par rapport aux concentrations en MP mesurées dans le monde. Les concentrations mesurées dans les tissus de P. margaritifera (~0,3-21,5 MP.g−1 de chair humide) la positionne d’ailleurs parmi les bivalves marins les plus contaminés.


De gauche à droite : Jean-Claude, Margaux, Nabila et Tutea.


« Depuis 5 ans, nous cherchons donc à mettre au point des collecteurs biodégradables pour les perliculteurs », décrit Nabila Gaertner-Mazouni, professeure en écologie marine à l’université de Polynésie française. Margaux Crusot, ingénieure en aquaculture et environnement, a été engagée en 2018 pour mener à bien, au sein d’une équipe, le projet Perlibio. Ce projet, première étape de l’aventure, fixait deux axes. Le premier était de réaliser un état des lieux global du gisement de déchets associés à la perliculture en Polynésie. Pour cela, Margaux Crusot s’est basée sur les travaux de Resccue réalisés aux Gambier en 2016. « J’ai adapté la méthodologie initiale, notamment pour mes enquêtes auprès des perlicultures. » Elle s’est focalisée sur deux atolls : Arutua et Takapoto car ils représentent à eux seuls 20% des activités perlicoles aux Tuamotu. Le second axe était de développer une solution alternative pour remplacer les collecteurs.


Margaux Crusot a effectué plusieurs missions sur place, environ 2 par an. Elle insiste : « depuis le début nous travaillons en lien étroit avec les perliculteurs ».


Blackpearl, le biomatériau qui a fait ses preuves

Un deuxième projet a suivi. Baptisé Proto-Coll, il a duré de 2020 à 2022. Il a été, comme Perlibio, financé par la Direction des ressources marines (DRM) et l’université de la Polynésie française (UPF). « Il m’a permis de valider les prototypes mis au point dans le cadre de Perlibio, de prouver leur innocuité et de démontrer leur efficacité. » La formulation du prototype de collecteur alternatif a été possible grâce au centre d’excellence néo-zélandais Scion. Il s’agit d’un institut de recherche spécialisé dans le développement technologique pour les secteurs de la foresterie, des produits du bois, des matériaux dérivés du bois et d’autres biomatériaux. « Nous avons travaillé ensemble et avons pu mettre au point un composé que nous appelons Blackpearl », indique Nabila Gaertner-Mazouni. Il a fallu ensuite réfléchir à la forme à donner à ce matériau, sa position, sa couleur…. Tout cela a été arrêté, l’équipe a convenu sur la base des recherches menées de fabriquer des coupelles empilées.

Blackpearl a été testé in situ avec Pinctada Margaritifera et validé. Les tests ont eu lieu dans le lagon de Takapoto, sur les concessions de la DRM dans des conditions standards d'élevage, c’est-à-dire à 5 mètres de profondeur. Au total, 75 collecteurs conçus à base du biomatériaux Blackpearl ont été immergés et comparés à autant de collecteurs en ombrières et de collecteurs constitués de coupelles PEHD1 sur 6 mois pour 40 d’entre eux et sur 13 mois pour 35 d’entre eux. Le collecteur confectionné avec le Blackpearl a fait preuve de son efficacité de collectage ainsi que de sa non toxicité.



Cédrik Lo, responsable R&D au sein de la Direction des Ressources marines. La mise au point d’un collecteur bivalves biodégradable est le fruit de collaborations (UPF, IRD) et partenariats (DRM, Scion et Pastiserd).

Dans l’environnement, il s’est toutefois avéré que la résistance des prototypes n’était pas satisfaisante. « Le biomatériau n’était pas incriminé, c’est la méthode de production des coupelles qui ne convenait pas », précisent Margaux Crusot et Tutea Richmond docteur en chimie des matériaux de l’université de Toulouse. Ce dernier est arrivé dans l’équipe en janvier 2022 intégrant directement le troisième projet. Baptisé Bioplates, il est toujours en cours et est mené en collaboration avec un industriel de Tahiti (Plastiserd) pour tester un autre procédé de fabrication. Le savoir-faire et les plateaux techniques de Plastiserd sont de réels atouts pour la réussite du projet.


Un second prototype testé dans l’année

La prochaine étape ? Produire ce nouveau prototype et finaliser la preuve de concept. « Nous souhaitons pouvoir mettre en place une filière de production localement et nos actions vont porter sur un accompagnement de l’innovation auprès des perliculteurs », conclue Jean-Claude Gaertner directeur de l’UMR EIO. Bioplates va tester un nouveau procédé de fabrication des prototypes qui réponde aux évolutions nécessaires (solidité, légèreté, …) et qui permette une production semi-industrielle des biocollecteurs. Il faudra relancer de nouveaux tests in situ des nouveaux collecteurs avec des perliculteurs et accompagner l’acceptation de l’innovation, par une démarche socio-cognitive et de management. Les seconds prototypes devraient sortir en juillet ou en août. Les tests suivront. Mais ils dépendent des pontes, dépendantes elles-mêmes des changements de température (entre autres). « Pour l’instant, nous ne savons pas précisément quand sera la prochaine ponte étant donné que les tests sont prévus dans plusieurs îles perlicoles », précise Margaux Crusot. Lauréat de l’appel à projet Polynnov, le projet Bioplates bénéficiera de l’accompagnement intensif à l’innovation dans le cadre du projet Nāhiti.


Margaux Crusot a réalisé plusieurs missions dans les îles, dont Takapoto aux Tuamotu, ici en octobre 2021.

Les résultats scientifiques de tous ces projets ont déjà fait l’objet de deux publications internationales en 2021 et 2022. Un troisième article portant sur la quantification des déchets générés par la filière est en cours de publication. Au-delà des chiffres, c’est toute la méthodologie qui sera partagée avec les chercheurs du monde entier. « Il y a de nombreuses études en cours actuellement sur l’estimation du stock de déchets historiques produits par les pratiques aquacoles, mais très peu de publications portent sur les flux annuels. » Ces estimations seront donc précieuses pour les autorités responsables de la gestion des déchets aquacoles.


(1) polyéthylène de haute densité







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